Il est habituel
de distinguer les deux rives de la Méditerranée, la rive nord et la rive
sud, l'orient et l'occident, l'islam et la chrétienté. De les distinguer
et de les opposer. Cette façon de concevoir les choses, au-delà de son
caractère sommaire, témoigne d'une certaine conception des cultures
comme blocs civilisationnels étanches, spécifiques et déterminés.
Aujourd'hui, le bassin méditerranéen occidental est témoin d'un échange
intensif de populations qui se trouvent à partager un même sol comme
c'est le cas sur le territoire français où vivent environ 3 millions de
Maghrébins.
Cette cohabitation ne va pas sans difficulté. La culture des " blocs "
n'arrangera rien et les perspectives sont en train de se modifier. Aux
revendications économico-politiques des premiers migrants ont succédé
les revendications ethno-identitaires de leurs enfants et
petits-enfants.
Ces revendications identitaires ne sont pas le seul fait des jeunes
Maghrébins vivant sur le territoire français. Ils rencontrent un écho de
l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie, où, aux revendications
nationalistes des pères de la libération algérienne ont succédé les
interrogations identitaires de leurs enfants.
Flottement identitaire exacerbé par ce qu'il est convenu d'appeler la
mondialisation, la circulation permanente des personnes,
l'interpénétration massive entre des messages de toutes provenances qui
mettent en danger des identités non stabilisées.
Cette fragilisation, ce désarroi se manifeste par des revendications,
des replis identitaires figés, souvent bien éloignés d'un réel
enracinement, et ceci des deux côtés de la Méditerranée qui aboutissent
souvent à des explosions de violences stupéfiantes, à tous les problèmes
que l'on connaît Ici comme là-bas.
Cette fixation/refuge dans une identité figée, imaginaire, stéréotypée
trouve sa caution dans le fantasme des " blocs " et occulte l'être
fondamentalement pluriel de toute culture, également cette idée
fondamentale que toute culture est seconde, que toute culture est
héritière de ce qui la précède, que toute culture est terre
d'immigration. Et qu'il n'y a pas autant de distance qu'on veut bien
le croire entre les deux rives de la Méditerranée et que cette prétendue
" radicale incompatibilité " entre la culture européenne et la culture
arabo-berbéro-islamique est un slogan vide de signification et non fondé
historiquement.
Les deux rives de la Méditerranée ont une histoire commune vieille de
plusieurs millénaires. Cette histoire commune a été le creuset de la
grande civilisation méditerranéenne, l'occasion d'échanges féconds. Elle
fut aussi le théâtre d'affrontements, de guerres, de passions violentes.
Ce passé commun, problématique, douloureux, complexe est curieusement
absent de la mémoire, des manuels d'histoire, ou lorsqu'il est présent
il est d'une manière extrêmement sommaire, approximative, toujours
décevante.
C'est cette mémoire commune qu'il faut se réapproprier ; cette
mémoire commune
est longue et
courte :
-
Courte,
celle de la colonisation et de la décolonisation-libération.
-
Longue,
celle de la constitution de l'identité de l'Europe et du Maghreb.
Cette absence de
mémoire peut s'interpréter comme un refus de se confronter à un passé
difficile, douloureux, à des questions qui ne sont toujours pas réglées.
Refus qui est à la fois cause et effet de souffrance ; c'est parce que
c'est douloureux que l'on veut oublier et c'est parce que l'on a oublié
que c'est douloureux ; cercle vicieux qu'il faut à tout pris rompre.
L'anamnèse de cette situation est indispensable pour se confronter de
manière claire, stimulante et féconde à la question qu'il est convenu
d'appelé, en France, la question de l'immigration, en Algérie,
l'écriture de l'histoire.
Pour la France :
La question des quotas, du " seuil de tolérance " n'y fera rien. Ce
n'est pas une affaire quantitative. Le seuil de tolérance se trouve dans
les imaginaires et non sur les registres d'un fonctionnaire du ministère
des affaires étrangères. Et nous savons que ce " seuil " dépend
largement de notre réel savoir, de nos connaissances qui sont bien plus
tolérants que nos désirs et nos fantasmes dont il ne faut jamais se
croire à l'abri !
Que pouvons-nous tolérer ? voilà la question et nous savons que la
mesure de notre tolérance est à la mesure de notre savoir.
Il y a des choses qui nous paraissent intolérable (au sens
d'insupportable) parce que nous ne comprenons pas, nous ne les
connaissons pas et ainsi elles deviennent la proie privilégiée, la
surface de projections privilégiée de fantasmes les plus discutables qui
n'épargnent personne.
Pour l'Algérie :
L'invention d'une histoire fictive, officielle ne peut en aucun cas
construire une réelle identité. Elle ne peut au contraire qu'entraîner
des désordres qui hypothéqueront longtemps l'avenir. Là également, seule
une réelle confrontation à une réelle histoire peut offrir une solution
non fictive à la réelle quête identitaire qui secoue l'Algérie.
Et c'est dans l'exploration de cette histoire commune que le deux
rives pourront à nouveau se rencontrer, par delà les mensonges, les
oublis, les stéréotypes qui falsifient les perspectives.
Déconstruire les stéréotypes racistes, culturalistes concernant le
Maghreb et l'Europe, reconquérir cette mémoire oubliée, ce grand passé
commun constituant et pour l'une et pour l'autre rive et développer la
connaissance des rapports Europe/Maghreb sont les directions dans
lesquelles travaille Mémoire de la Méditerranée.
S'interroger sur ce passé commun, c'est d'un seul et même mouvement,
s'interroger sur l'identité européenne, sur l'identité du Maghreb, sur
tout le tissu de médiations qui s'entremêla au moyen âge, sur la part
commune de notre histoire, et aussi sur son oubli, sur ce que
l'Europe doit au Maghreb, comme sur ce que le Maghreb doit à l'Europe.
Un jeune maghrébin aujourd'hui ne se trouve pas dans une position
fondamentalement différente de celle d'un jeune Européen, français,
espagnol ou italien quant à la connaissance de l'héritage culturel
qu'ils ont en commun sans le savoir. Ils sont tous autant éloignés, l'un
d'Ibn Rushd, l'arabo-andalou que l'autre d'Aristote le Grec, alors que
le premier commentait le second ; le phénomène de déculturation
n'épargnant donc personne. L'acculturation inconsciente non plus.
La
ré-appropriation conjointe de la part commune de leurs racines doit être
considérée aujourd'hui comme une tache impérieuse et vitale.
Les Maghrébins et les Européens ont une part d'histoire commune, qu'il
s'agit de reconnaître, de mettre à l'ordre du jour et au programme de
l'école républicaine française, algérienne.
Ainsi les jeunes Français pourront renouer avec une tradition qui est en
partie la leur, et dont ils n'ont que peu, pour ne pas dire " pas du
tout ", conscience.
Ainsi les jeunes Algériens pourront nouer des liens avec une tradition
qui s'obscurcit au risque de se perdre sous le double assaut d'une
histoire officielle, fictive et de la modernité déculturante ; ainsi ils
pourront disposer de références qui seront véritablement les leurs.
C'est pour toutes ces raisons que Mémoire de la Méditerranée se
donne pour objectifs :
-
Le
développement de la connaissance de la part d'histoire commune aux
pays riverains du bassin occidental de la Méditerranée : Maghreb,
Malte, Péninsule ibérique (Espagne, Portugal), Italie, France.
-
Le
développement d'un travail de recherche en vue d'établir et de
proposer un programme d'enseignement concernant cette part
d'histoire commune dans tous les pays impliqués. Ce programme
concerne tous les niveaux de la scolarité. Il est complété par un
programme de formation des maîtres. Il embrasse de vastes secteurs ;
histoire des idées, histoire des religions, histoire politique,
histoire des arts, de la philosophie, des sciences et des
techniques ;
-
Le
développement de contacts entre les écoliers, les étudiants, les
enseignants des pays concernés : jumelages d'écoles, d'universités,
d'institutions, voyages scolaires, etc. ;
-
L'édition de
livres, de revues, de tout support pouvant permettre le
développement et la diffusion de cette part d'histoire commune ;
-
La création
de centres de documentation, de recherche, d'enseignement sur ce
thème dans les pays concernés ;
-
L'organisation de rencontres, de colloques, nationaux,
internationaux, la publication et la diffusion de leurs actes.
La
ré-appropriation conjointe de la part commune de leurs racines doit être
considérée aujourd'hui comme une tache impérieuse et vitale.
Les Maghrébins et les Européens ont une part d'histoire commune, qu'il
s'agit de reconnaître, de mettre à l'ordre du jour et au programme de
l'école républicaine française, algérienne.
Ainsi les jeunes Français pourront renouer avec une tradition qui est en
partie la leur, et dont ils n'ont que peu, pour ne pas dire " pas du
tout ", conscience.
Ainsi les jeunes Algériens pourront nouer des liens avec une tradition
qui s'obscurcit au risque de se perdre sous le double assaut d'une
histoire officielle, fictive et de la modernité déculturante ; ainsi ils
pourront disposer de références qui seront véritablement les leurs.
C'est pour toutes ces raisons que Mémoire de la Méditerranée se
donne pour objectifs :
-
Le
développement de la connaissance de la part d'histoire commune aux
pays riverains du bassin occidental de la Méditerranée : Maghreb,
Malte, Péninsule ibérique (Espagne, Portugal), Italie, France.
-
Le
développement d'un travail de recherche en vue d'établir et de
proposer un programme d'enseignement concernant cette part
d'histoire commune dans tous les pays impliqués. Ce programme
concerne tous les niveaux de la scolarité. Il est complété par un
programme de formation des maîtres. Il embrasse de vastes secteurs ;
histoire des idées, histoire des religions, histoire politique,
histoire des arts, de la philosophie, des sciences et des
techniques ;
-
Le
développement de contacts entre les écoliers, les étudiants, les
enseignants des pays concernés : jumelages d'écoles, d'universités,
d'institutions, voyages scolaires, etc. ;
-
L'édition de
livres, de revues, de tout support pouvant permettre le
développement et la diffusion de cette part d'histoire commune ;
-
La création
de centres de documentation, de recherche, d'enseignement sur ce
thème dans les pays concernés ;
-
L'organisation de rencontres, de colloques, nationaux,
internationaux, la publication et la diffusion de leurs actes.
Mohamed-Tayeb ACHOUR
Alger, 2001
Fin de la déclaration d'intention
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